dimanche 30 septembre 2012

Patagonie 2011. 15 jours au bout du Monde. (II)



15 avril.

                Le réveil à 6h45 ne me réveille pas. J’entends vaguement un coq qui chante, plusieurs fois. J’émerge à la 2ème sonnerie : 6h55. Le coq, encore. Je sors du lit à la 3ème sonnerie à 7h05. (Le bus est à 8h.) Alexandre est malade, ça y est. J’essaye de réveiller Cyril et aboutit à un relatif échec.
                Je range tout ce que je peux, traîne mon sac jusqu’en bas, mets en place une sorte de table pour le petit déjeuner. A 7h30, Cyril est enfin sorti des ses couvertures… ou presque. On expédie le petit déjeuner en dix minutes.
                8h00, pas de bus. On ne sait pas s’il doit venir là, en fait. Quelqu’un entre enfin dans l’agence-hôtel. Je lui dis en espagnol qu’on doit prendre le bus de 8h. (‘’8h30 ? –Non 8h…’’ il est 8h05). Le bus est déjà parti. On n’est pas doués… L’homme nous propose le bus de 8h30 : c'est-à-dire 33 000 pesos perdus et 36 000 à repayer. Non merci.
                Cyril se lance dans une discussion éloquente : On attendait ici ; on ne savait pas que le bus de passait pas directement là ; on ne nous l’a pas dit ; comment aurions-nous pu savoir ? … ! Ça marche un peu, il nous propose un taxi pour rattraper le bus. 15 000 pesos … 10 000 … d’accord. Il nous amène.

                   Dehors, le plus beau levé de soleil, dans la voiture. C’est énervant.

                On retrouve enfin notre bus à la douane chilienne. Je ne sais pas si c’est très … convenable de passer la frontière avec les 6 sachets de nourriture (contenant notre petit déjeuné… bien sûr. hum) On les laisse donc devant le bus. Nos passeports tamponnés, on se trouve des places dans le bus et on continue notre petit déj. Gargantuesque inachevé.
                Une 2ème douane ? Ah ? La douane argentine. Et entre le Chili et l’Argentine il y a quoi alors ?! (Si quelqu’un nait entre les deux, il se passe quoi ?) Cyril est content, il rêvait d’aller en Argentine.
                Des nuages lenticulaires à étages multiples émergent de partout, se déforment. S’allongent. Se dissocient. Fusionnent. Un énorme altocumulus en forme d’entonnoir indique une direction. Les montagnes sont partout, au loin. On voit les glaciers ; les séracs. Les falaises. Des formes élancées tendues vers le vortex. Des masses sulfureuses de nuages en suspend. Alors qu’on roule infiniment vers l’indéfini dans le désert peuplé de lamas. La pampa.
                Cyril s’endort, et, pour passer le temps, on commence à écrire un résumé du début de l’aventure, histoire de ne pas oublier ce dont on se souvient encore.








                Au bout de 5h de bus, on arrive à El Calafate. On fait la liste de tout ce qu’on doit demander (horaires & prix des bus, où changer de l’argent, où trouver une auberge et un supermarché à El Chalten, ….) et on obtient tous les renseignements du premier coup, miracle ! Le gars est efficace.


                 Je vais voir si je trouve le distributeur, on laisse nos sacs dans la gare de bus (et on y laisse Alexandre, aussi). J’ai un mal de tête redoutable. Je ne trouve pas, à force de tourner à droite je fais le tour du bâtiment d’où je viens de sortir. Je demande à des policiers, qui essayent de m’expliquer que le bureau de change est fermé jusqu’à ce soir ou demain, entre autre. ‘’cambiar’’ dinero … bon sang, je ne sais pas comment dire retirer. Je retraverse la gare de bus, re-émerge de l’autre côté, un peu euphorique, épuisée.
                Je descends le grand escalier qui mène au centre ville. Deux chiens m’escortent. Bêtement, je leur demande ou je peux ‘’cambiar dinero’’. Il se trouve qu’en fait, ils me conduisent relativement au bon endroit, sauf que je ne le reconnais pas. Je me retrouve donc dans une rue parallèle à la principale, sans rien trouver. Sauf un couple à qui je sors ma phrase soigneusement pré-constituée, à force de la ruminer. Pas de bol, ils ne parlent pas espagnol et s’en vont sans rien dire d’autre que ‘’gracias’’. Mince. Une autre dame se retrouve sur le même trottoir que moi : même question. Elle m’explique bien, on commence un semblant de discussion, des bribes d’espagnol me reviennent. Elle est sympa, pas trop expansive… très bien.
                Je trouve donc le bureau de change ; fermé bien sûr. Il n’y a pas de distributeur dehors par contre. Mais je trouve aussi dans mon lexique comment on dit ‘’retirer’’.  Rebelote, c’est reparti pour un tour. Je fais le tour de la ville. Encore. (Avant d’oser demander.) Je tombe sur une banque. J’hésite, je rentre. La touche ‘valider’ ne fonctionne pas. Demi-tour. Je re-questionne un passant. Refait demi-tour. A l’autre bout de la rue principale se trouve une 2ème banque. Au 3ème essai je réussi enfin à sortir deux fois 500 pesos. 1000$ ! Je suis riche ! (un peu moins de 200€…)
                Bon alors maintenant, une pharmacie. Je commence légèrement à y voir plus clair. Ma conscience s’extrait avec grand mal du brouillard informe où elle s’était enlisée (le doliprane qui fait effet, peut être). Je commence à fixer des buts à mon excursion, au lieu d’errer confusément à la recherche d’une banque.
‘Farmacia’. ‘’Busco algo para las anginas’’. … ‘’No tengo alergias’’ … ‘’esta bien’’. ‘’Busco también otra cosa : me hizo dolor al pie y al tobillo. ¿ Tienes una crema para eso?’’ … Voilà.  On devrait survivre (mis à part le mode de préhension des médicaments qui est confus). 100 pesos en moins. Ca va vite ! Retour à la gare, encore quelques heures à attendre (le bus est à 18h30). Alexandre est toujours tout seul sur son banc blanc au milieu des sacs. Je lui donne les médicaments, et lui explique ce que je comprends sur la manière de les prendre. Cyril est parti en ville aussi. L’autrichien passe. Ha tiens, un peu malade aussi.
Redescente vers l’allée principale. Il n’y a plus de chiens… Je traverse à nouveau le petit marché amérindien. Les enceintes qui crachent des inepties bruyantes. J’achète des cartes de rando plastifiées, on commande des pizzas avec Cyril (encore 110 pesos en moins… c’est plus cher qu’au Chili). On s’embrouille dans les taux de change. Et Cyril va se renseigner pour un réchaud.
On fait un drôle de repas gouter… avant de re(rerere)prendre le bus. Encore. La nuit nous rattrape. Le soleil se couche, transformant les nuages étranges en brasiers éphémères. Vers 22h30, on se retrouve complètement hagards dans le vent glacé bruineux. El Chalten …. Une ville touristique ?? On avance sur une route de terre et de cailloux. Un hôtel, vite.
                Ah, une auberge : ‘’Condor de los Andes’’. Ca a l’air...sympa ; convivial du moins. 25 dollars la nuit pour trois, petit dèj. compris (en fait 50 dollars, mais il y a pire). La fille à l’accueil est gentille, elle nous renseigne un peu sur les chemins, la météo (douteuse), les magasins, … On prend une douche chaude … sauf que pour Cyril, il n’y a plus d’eau chaude. On met de la musique. Une alternance curieuse de styles, trop rapide pour en profiter vraiment, dommage. … Buena noche. …


16 avril.

                Je me réveille trop tôt. Je veux DORMIR ! (bordel) Il fait nuit et j’attends patiemment que le soleil se lève. Longtemps. Le noir venteux fait place à une pâle iridescence derrière la fenêtre. Mais je me fais des idées. Derrière le rideau, les montagnes sont emmitouflées dans leur châle gris vaporeux. Brumeux. Pluvieux. Neigeux. Tempétueux. Je réveille Alexandre à 9h, toujours pas d’eau chaude. C’est lui qui se fait avoir cette fois. Cyril est réveillé aussi. Je fourre toutes mes affaires dans mon sac et descend… le petit déj. est à prendre avant 10h ou 10h30, je ne sais plus mais je ne veux pas qu’on le loupe !
                Chocolat chaud et tartines. On traine, omettant que les magasins ferment à 12h30… jusqu’à 17h. Hum. 




                Le grand retour de l’eau chaude. Eveil véritable vers midi. On commence alors à réagir, en courant partout. Cyril doit voir pour le réchaud ; Alexandre et moi trouver un supermarché et faire des courses pour 3-4 jours. Il n’y a RIEN dans ce magasin. Ou du moins rien de ce que l’on cherche. Bon : pâtes, purée, parmesan, jambon, fromage, pain, fruits secs, yaourts à boire, céréales, lait en poudre tout de même, après une recherche approfondie et méticuleuse.
                Retour à l’auberge ; tri des provisions ; réparation du matelas de Cyril ; répartition dans les sacs. Alexandre boite… Mais le réchaud de Cyril fonctionne de nouveau (une mauvaise nouvelle pour une bonne). Pour le réchaud ? Il suffisait de remplir la bouteille d’essence… c’est louche. On a même un réchaud à gaz en plus, loué à une boutique.
                On déjeune dans un restaurant, raviolis et pizzas. Cyril a une idée soudaine … il va louer … une casserole.. ! On ne comprend pas (du tout ; et on ne le fait pas exprès). Une casserole chacun c’est un peu beaucoup, je trouve. Il fait alors part de l’idée déjà bien définie de partir tout seul quelques jours. Question de bio-rythme.  Mmh. Le groupe est voué à la dislocation. (A deux, il n’y aurait pas eu d’éparpillement. Je gêne. C’est MOI le problème. De nouveau cette sensation désagréable et un peu moisie que j’avais presque oubliée. J’ai un peu envie de disparaître ou de m’éclipser, discrètement, avec la petite tente. Mais bon. Idée abstraite. Je suis un peu parano, je sais.) On fera la première étape tous ensemble, ensuite on partagera la nourriture. C’est déjà décidé. On détermine enfin ce qu’ ‘’on’’ va faire et dans quel ordre. Aujourd’hui, Chorillo del salto, remontée le long du torrent et nuit au Laguna Capri. Théoriquement.
                On sort. Le vent est très fort, la pluie vient par moment, cinglante. On croise un panneau : cascade à 3km. Trois kilomètres à marcher dans la tourmente. Les nuages sont un peu écartelés par le vent, le soleil montre un ou deux rayons, parfois. Alexandre et Cyril s’arrêtent pour faire des photos. Personnellement, j’ai assez peur de  ne pas repartir avec ce vent (même si le sac me maintient au sol). C’est très dur d’avancer. J’aperçois un trèfle à cinq feuilles… il n’y a pourtant pas de Tchernobyl ici. C’est étrange, cette faculté que j’ai de repérer les anomalies dans les trèfles. Héhé.
                Les arbres sont différents ici. Plus verts, plus grands. Toujours très beaux, torturés et partiellement pétrifiés. La cascade est superbe, aussi. Des petits arbres buissonnants aux couleurs mélangées, éthérées, … Rouge, vert ; jaune-orangée. Toujours curieuse, je veux voir de plus près. Un pas d’escalade dans la roche mouillée et un petit chemin va jusqu’à la cascade. C’est pas mal ! Juste un peu … trempé.




                Je cours partout, il y a un tronc d’arbre bien pratique pour traverser les rapides, mais il cache une partie de la scène (je ne trouve pas vraiment de compo ; je traverse encore, reviens…). Si j’étais seule, je mettrais ma robe blanche et j’essaierais de me prendre devant la cascade, en contemplation ; ou rêveuse dans l’eau devant mais … mais je ne suis pas seule. Et je n’ose pas.
                Je gambade d’un côté à l’autre, cherche un point de vue en hauteur, oublie le vent. Je laisse l’appareil sur le trépied nul avec une patte pliée. Une rafale… et l’ensemble chute sur les rochers. Je relève la chose, l’appareil s’allume. Ouf.
                Un troupeau humanoïde arrive et contemple la cascade comme un écran de cinéma. Habillés classe, le prototype du touriste débutant. On doit être le modèle au dessus (un peu plus performant).
                Je trouve enfin une ligne d’arbres colorés qui conduit à la cascade ; fait échos au torrent qui part dans l’autre sens. Je mets au moins cinq minutes à poser le trépied en équilibre à la bonne hauteur. Je prends l’appareil pour faire les réglages… pas de réglages. Sur le coup je crois à un caprice (oui, mon appareil photo a ses humeurs) : Extinction-Rallumage. Pareil. Je remarque enfin la belle fissure sur le dessus de l’appareil… foutu. Je suis assez désemparée… plus de photos ? Ici, en Patagonie ? Je sens mes yeux s’embuer ; mais je ne veux pas être une gamine. Tans pis, je range tout. Je suis un peu perdue.
                Déjà 17h, il faut y aller de toute façon. Je monte une espèce de … truc qui doit être un raccourci. Une sorte de trace sablonneuse dans les herbes hautes qui grimpe tout droit. Cyril et Alexandre ne sont pas loin derrière, ils s’arrêtent encore prendre des photos. J’ai l’impression de devenir dingue, je veux aussi  saisir ces instants, les amener avec moi, les magnifier, les … mmh non, je ne sais pas expliquer, du tout. C’est peut être égoïste comme désir en fait. Je dois avoir une tête de cocker battu, Alexandre me demande si ça va aller. Oui (bien sûr mais en fait non, je ne sais pas, plus). On arrive au dessus d’une 2ème cascade magnifique ; et je craque. Je sors l’appareil, pour voir ce qu’on peut en tirer… Bloqué en mode P (Patagonia … gné) ç’aurait pu être pire. Et mieux, aussi. Tout est plus compliqué.




Le Fitz Roy apparait, forteresse de roche et de glace. Demeure des démons. Une muraille cyclopéenne. Incroyable. Au dessus de cette apparition, deux nuages forment des sortes d’arc de cercle qui plongent derrière les dents acérées. … Une photo vite fait.
                Il faut monter, on ne voit pas tout ! Toujours le même problème. Cyril s’arête sur des rochers aux textures intéressantes.




Et on monte. Pas assez vite. Le chemin devient foireux, dans une falaise et des éboulis divers ; vaguement dangereux. On laisse les sacs et on y va : Ca passe sans problème… suffit de ne pas tomber. Mais j’adore, et la vue est géniale. On revient, et on retrouve Cyril qui a rattrapé le début du passage.
Le ‘’dangereux’’ l’emporte sur le ‘’vaguement’’ je crois. Dommage. On contourne par le haut. Par un passage aérien un peu douteux aussi, mais bon. Encore de BUISSONS. Le haut de la falaise est une sorte de plateau boisé-herbeux sans chemin.  Aucune hésitation : On fonce ! Et on trouve un lac… tiens ? la nuit tombe presque mais … il est trop petit le lac, c’est pas le bon.
En longeant la rive, on tombe sur un panneau en bois cloué à un arbre : Laguna del Pato. Pas de chance, il n’est pas sur la carte. Mais il y a un chemin ! Je pense qu’il faut le prendre vers le haut, et Alexandre suit. Cyril arrive, et je ne sais pas trop pourquoi, mais finalement on change de sens.
Le chemin s’enfonce dans les sous bois, la nuit tombe. Un cri  gloussement étrange émane de l’obscurité. On descend… Je fais remarquer que si on ne veut pas entendre ou surprendre diverses bestioles, il vaudrait mieux indiquer notre présence en discutant… ce qui aboutit à un dialogue de sourds. C’est curieux. Je marche devant, Cyril derrière et Alexandre au milieu avec sa frontale.
Le sentier se perd un peu dans les broussailles, réapparait. De nouveau le gloussement. On s’arête pourtant dans les bois impénétrables et sombres pour jeter un coup d’œil à la carte. On trouve … pas. On est là, là, non là ; peut être là.  (Ou là.) On monte une colline pour voir au clair de lune si il y aurait un lac (le bon) de l’autre côté… et on se retrouve bloqués par une barrière. On redescend la colline et continue à suivre le chemin vers le bas. … Ou pas : finalement demi-tour. On décide de retourner au lac (Re-broussailles, re-sous-bois, re-bruit étrange, re-marécages, re-buissons).
On s’arête un peu au dessus de la partie marécageuse, dans une végétation bizarre qui s’enfonce. En retrait des bois obscurs. Cyril creuse un trou, je monte ma tente, Alexandre la sienne. Cyril cherche du bois, Alexandre de l’eau, je gonfle les matelas. C’est quand même efficace, à trois. On allume un feu… ça me fait peur. Pour une fois qu’il ne pleut pas, avec ce vent (oui, toujours) je crains qu’on crée un incendie. En plus il y a plein de troncs d’arbres bien secs autour… Finalement ça va, les flammes ne sortent pas trop du trou. On avale quelques pâtes et parts de pizza qu’on a discrètement emportés dans une casserole depuis midi. La peur nous a coupé la faim. On éteint le feu… on le noie bien. On l’enterre, même. Puis on plonge dans nos sacs… tard.


17 avril.

                Le vent qui sommeillait a repris des forces pendant la nuit. Il apporte de la pluie à chaque rafale depuis un bon moment (réveillée tôt, encore).
                On s’extrait plus ou moins de la tente. Le temps est vraiment curieux, totalement bouché côté Fitz Roy, évidemment. Au dessus de nous, le ciel est encore bleu… mais il pleut tout de même. On a la flemme d’attendre une heure pour avoir de l’eau potable pour faire du lait grâce aux pastilles de purification. Du coup, on mange deux paquets d’espèces de mini-cookies pas très inspirants… mais parfaits pour notre petit déj. en l’occurrence.
                On trie, on range, on partage. La météo commence à être relativement dégelasse. On  plie bagage quand même ; Alexandre donne quelques indications à Cyril sur sa petite tente… qui, sous une rafale, s’aplatie totalement. Pas si drôle dans le principe, mais je suis pliée (fatigue mh). J’aime beaucoup le mouvement de la toile. On dirait un petit animal peureux qui se tapie dans les hautes herbes. En tout cas c’est ce à quoi ça me fait penser. Et l’air ahuri de Cyril n’est pas mal non plus, sur le moment.





                C’est reparti ; on rejoint le même chemin. Vers le haut cette fois (la 1ère intuition est toujours la bonne). Les rafales sont de plus en plus fortes. Sans sac, je m’envolerai peut-être.
                Ah tiens, des GENS ! La civilisation existe encore … Je leur demande d’où ils viennent… mais ne comprend pas la réponse. Une deuxième chance… ceux là viennent de Capri ; qu’on n’a pas été fichu de dénicher.
                Étonnamment, on arrive à un panneau : ‘’Mirador Fitz Roy’’. C’est sur une carte. Une seule des deux, bien entendu. On sort donc nos deux cartes et on localise… on était bien moins loin qu’on le supposait. Et on ne voit rien, rien de rien. (Sauf qu’il fait beau sur El Chalten en que nous, pauvres inconscients mal organisés, on se jette dans la gueule du loup… voire bien pire.) Il faut théoriquement une heure pour rallier le camp Poincenot. Ce qui semble court à Cyril, mais qui me suffira largement je crois.
                On s’enlise vraiment dans une sorte d’abomination indéfinie qui vient du Fitz Roy. Enfin on l’imagine bien, parce qu’évidemment le Fitz Roy, on ne le voit pas. J’ai du mal à suivre, le vent me pousse dans tous les sens. Qu’est ce qui m’a pris de porter la tente déjà ? … hum. Un arc-en-ciel nous nargue toujours du côté opposé.
                Voilà le camp Poincenot. C’est la tempête mais sous les grands arbres, on la sent moins. A quelques mètres, des oiseaux étranges discutent et se promènent. Avec une bonne tête ébouriffée.
                Apparemment on pourra s’abriter dans des cabanes au ‘campamento Rio Blanco’ … 15 minutes de marche encore… Je n’en peux plus. Je passe en mode automatique, poser un pied devant l’autre, etc. Aller hop. Une autre forêt. Un abri. Ouf. Je ne bouge plus. Il y a une autre maisonnette plus loin. Alexandre et Cyril vont voir. C’est mieux. Encore 20 mètres… re-ouf. Une vraie cabane qu’on peut fermer, une vraie petite maison… Sympa. On en met du bordel, à trois. La moitié de la cabane est remplie. Cyril fait chauffer de la soupe avec son réchaud (douteux, toujours) sur une table en bois, dans une cabane en bois, au plancher en rondins de BOIS (hm) ! Ca ne prend pas feu, miraculeusement. On avale du fromage et du jambon avec du pain qui sent (et goûte, aussi) le pétrole. C’est moyen.



                On vide une grosse boite de conserve trouée et on allume un feu dedans avec des herbes qui poussent dans la cabane. But de l’opération : se réchauffer. Mais ce feu miniature fume trop. On sort en toussant, le pot est trop chaud pour qu’on le bouge. Je prends mes gants et l’amène dehors (= gants troués. Je sais, j’aurai du réfléchir avant. Mais bon.) Au moins, ça chauffe… l’extérieur tempétueux et pluvieux. Les arbres sont très beaux en revanche : Grandes branches emmêlées, tronc couchés et feuilles colorées. Mais trempés. 








                L’après midi passe avec une alternance entre sorties tentatives de photos et … cabane, au sec. On pense d’ailleurs camper à l’intérieur. Il n’y a plus que des braises dans la boite, on peut enfin se réchauffer les mains… les braises vont déjà s’éteindre mince. On remet des bouts de bois mais je ne sais pas m’y prendre, et Cyril pense que c’est trop tard. On rentre donc la boite pour ne pas perdre le peu de chaleur qu’elle contient encore.
                Trois autres randonneurs arrivent… et moi je sors. Vive l’humidité. Je sens mes genoux rouiller. Quand je reviens, les trois autres mangent… nous aussi. Au menu : purée parmesan… c’est bon je trouve. De son côté de table, Cyril se fait du lait en poudre aux corn flakes sucrés. Ahem. De la fumée ! Notre pot ressuscite (?!). Dans l’abri ouvert d’à côté, quatre anglais se font un repas gargantuesque. On se dit qu’on a vraiment un problème d’organisation (VRAIMENT). Il faut trouver ce qui cloche. Sacs trop lourds, fatigue, pas assez à manger, … !
                Retour à la cabane. Un MULOT fait tranquillement son petit bonhomme de chemin en traversant à quelques centimètres de moi. Il nous poursuit. Pour éviter une nouvelle catastrophe on suspend au plafond la nourriture dans un sachet plastique à l’aide d’un fil de fer entortillé. On ferme bien les gros sacs et on les accroche au mur…
                Deux tentes sont montées dans le refuge. Alexandre et moi … dehors. La tente tiens plutôt bien, elle ne bronche pas avec le vent. Les arbres si. Si on regarde en haut, vision est effrayante et fantomatique des branches qui se balancent. Vision hypnotique aussi. J’espère que rien ne va nous tomber dessus.
                Des lampes passent… Puis la lueur diffuse et mouvante de la pleine lune. … Sleep well.


18 avril.

                Toujours du vent. Pas de pluie ? J’émerge vers 8h ; un exploit. (Pour une fois qu’on voulait se lever tôt.) On sort et je réveille du monde sans faire exprès en rentrant ‘’discrètement’’ dans la cabane… la porte grince à fond.




                J’aimerai bien monter au ‘Lago de los tres’ ; mais Alexandre est sceptique, c’est vrai qu’on ne voit toujours rien au dessus… même si le ciel bleu a gagné du terrain. Une désagréable douleur au genou et le mal de pied d’Alexandre finissent par me convaincre… c’est plus raisonnable (je connais ce mot ?) de ne pas faire de dénivelée en plus. On déjeune, en profitant pour remarquer que quelqu’un a laissé trainer le paquet de madeleines. Qui ont donc, logiquement, été grignotées par les souris. Bordel. Il en est de même des ‘poignées’ de mes bâtons de marche, mon appareil photo déjà foutu, … .
                Cyril et Alexandre discutent de la dissociation (et du malaise qu’elle provoque dans la troupe il me semble). Je suis dans le refuge, eux juste devant ; et pendant un moment j’entends tout. Je crois que Cyril aurait préféré être seul avec Alexandre ; et qu’il trouve qu’il y a un certain manque de communication. (Pas très étonnant ; je n’ai pas vraiment l’habitude de communiquer.) Bon. Je sors discrètement, enfin j’essaye ; je range la tente et son contenu. Et je vais marcher dans les bois. Ils discutent longtemps.
                Et puis on part : Cyril vers le lac, nous vers le camp Agostini. Quatre heures de marche… à priori. Les sacs pèsent une tonne ; il fait beau (mais pas sur les monts cyclopéens). On voit apparaître des bouts d’arêtes déchiquetées ; une muraille sombre qui s’élève dans la brume. Des avalanches de neige soufflée ; des griffes de roche acérées. On hésite presque à faire demi-tour et monter tout de même, dans ce chaos. C’est vraiment impressionnant. Mais on est loin déjà. Et la vue doit être aussi géniale sur l’autre versant. On continue donc… et on croise l’autrichien. Il va dans l’autre sens (car il ne voyait rien de l’autre côté).







                Notre sens de l’orientation précis et infaillible nous conduit … droit dans un ruisseau, au lieu de chemin. On ne sait pas comment ni quand on l’a quitté, mais ce n’est PAS le sentier… résultat : traversée d’une buissonade boueuse et irritante.
                On tombe sur un argentin étrange avec une veste orange fluo  nouée à la taille. Il nous parle moitié anglais moitié espagnol d’une façon curieuse et hachée ; le tout avec plein de gestes. Il a du nous dire, après reconstitution : ''Holà Hello !! Essayé d’aller plus loin mais trop marécageux. Moi pas bonnes chaussures. Je peux pas avec ça. Venez d’où ? (…) Ah moi argentin mais plus au Nord. Peux pas aller plus loin avec ces chaussures. Trop d’eau par là. Vous allez ou vous ? Vous campez ? (…) Ah bien. Ou ? Ah moi par là j’ai essayé. Mais pas bonne chaussures. Trop d’eau. (…) ''
                Bon nous on y va. Bye ! Adios (hasta luego). Il part dans l’autre sens. On mange sur la grève au bord du Laguna Hija, le pain sent un peu moins le pétrole.
                J’aperçois un type avec une curieuse veste fluo qui prend des photos vers nous depuis les hautes herbes ; en tenant à bouts de bras un petit compact. Hum. Il débarque bientôt sur la plage… C’est le même.
                Bonjour Holà !! Bon appétit. Demi-tour à cause de mes chaussures. Moi pas je peux aller plus loin. Pas les chaussures. Bye ! MH. Il continue sa route (dans le même sens que nous).
                La forêt est géniale. Arbres géants, feuilles colorées… c’est la quintessence de l’automne. Des branches mortes tendent leurs rameaux blanc décharnés aux doigts déformés. Les phalanges tordues se déploient dans les bourrasques. Ca grince un peu, parfois. On progresse sur une sorte de tapis de mini feuilles encore orange. On fait des photos dans les bois, on s’arête tout le temps (dans une limite d’une minute trente par arrêt). J’imagine des scènes dans les innombrables possibilités qui seraient imaginables. Soudain un type plus orange que les feuilles, en veste fluo un peu de travers déboule devant nous en courant à moitié. ‘’Hello Bonjour ! Marché une heure par là. Rien vu. Vous allez ou ? Ah par là aussi ? Plus loin ah oui oui. Ha moi dan l’autre sens. Par là j’ai rien vu. Marché une heure. Aaah. Oui mais moi rien, rien vu par là une heure.’’ (…) (etc.) Toujours en spranglish bizarre. Mais … on l’a croisé il y a moins d’une heure ! Décidément. Il remonte le chemin en courant ; on continue à descendre.








                On est exténué. Alexandre boite un peu parfois. On retourne dans la gueule d’un monstre furieux qui nous crache son haleine glaciale. Ciel gris obscur, rafales ; pluie saccadée. A l’opposé le ciel bleu. Au milieu, un double arc-en-ciel. On quitte la lumière pour les ténèbres. Les feuilles sur les branches se font de moins en moins nombreuses… on entre dans l’hiver. Monts noirs. Inquiétants. Les chemins s’enfoncent dans des buissons bruns nus et touffus. Sans aucune feuille.
                On croise une forêt figée, toute blanche, sans vie, au milieu d’un marécage. C’est incroyable. Des formes lugubres se dessinent dans les arbres.





                C’est encore loin ? Ah tiens, des lunettes sur le chemin … ‘Alexandre ?’. Trop de vent, il n’entend pas. Un passage surélevé au dessus des herbes détrempées… le camp. Enfin. On n’est pas morts, non…. Juste à moitié.
                On monte la tente. On balance les sacs dans les absides. On va voir le lac. Sans emporter les appareils. Ooh une tache orange dans la moraine. ‘’Hello Holà !! Très beau. Je voulais aller ;; plus loin. Là. Mais je peux pas. Chaussures. Pas bonnes. Plus loin par là, pas possible. Not possible. Mais vous bien, bien. C’est beau par là. Moi j’ai essayé mais non. Pas les chaussures. Bye !’’
                BORDEL Il nous a redit la même chose. On commence à se demander si ce n’est pas une hallucination. Dans notre état, pas impossible. On le voit tous les deux pourtant. Incroyable. Ca ne peut pas être le même, il doit y en avoir au moins deux ?! Des exemplaires multiples et paradoxalement identiques ; des jumeaux ? Triplés ?? Enfin bon. On monte au lac, bien sagement sur le sentier (étonnant de notre part), un peu comme des zombis automatisés. On y arrive. L’eau est toute grise, toute triste dans le brouillard. Un petit iceberg nage vers nous.
                Une lueur lointaine et dissipée fait apparaître en transparence des aiguilles pointues et altières dans la brume. Mais il n’y presque aucun contraste à travers les nuages. Elles disparaissent, englouties par le voile opaque. Au bout du lac, une petite langue glacière trempe ses derniers séracs dans les eaux grisâtres. Au dessus de nous, une muraille sombre s’élève, tel le rempart déchiqueté de la forteresse infranchissable d’un ancien monde. Il y a une cascade aussi qui s’éparpille dans les roches noires entre les arbres. Trop lointaine.





                On retrouve le campamento. On se trempe les pieds dans le torrent qui nous enveloppe de sa voix grondante ; on cherche de l’eau aussi. Il pleut. Hop, dans la tente. On pose le réchaud à gaz à l’intérieur. Pâtes-parmesan, purée-lait en poudre, jus de mangue concentré-dilué. On s’allonge. (En fait, on est déjà presque couchés pour préparer.)
                Des petits bruits métalliques venant de l’abside se font entendre. Alexandre ouvre (je n’aurai pas osé ; mmh). Un MULOT. Tiens donc. Il a dérapé et à fait bouger le couvercle de la casserole, maintenant il se promène sur les chaussures… Il s’en va sous la pluie. Pfff … on referme. On ré-entend du bruit plusieurs fois mais il est trop timide pour poser devant l’appareil photo. On ne le voit plus.
                On délire un peu, on se dit que l’argentin va débarquer, il va vouloir dormir avec nous, le pauvre, il n’a pas de chaussures ! (…) La pluie tombe de plus en plus fort. Je commence à avoir sérieusement des doutes sur la position de nos sacs… on aurait du les rentrer, aussi… mais j’ai la flemme.
                Aller ; au lit. Enfin d’un côté, on y est depuis qu’on a commencé à faire à manger ; mais cette fois on éteint la lampe de poche qui nous supplie de la laisser tranquille depuis des heures en baissant de plus en plus l’intensité de ses trois diodes.
                Au milieu de la nuit, on rentre nos sacs trempés et sablonneux.


19 avril.

                Toujours le même temps dehors. Il n’y aura plus de dernière chance. On avale quelques gâteaux (les cookies bizarres) ; on monte au lac. On ne voit RIEN encore. L’iceberg s’est promené et a dérivé un peu plus loin. Sur la rive droite, bien plus haut, des avalanches dévalent les parois. A gauche, toujours la muraille, immobile. Menaçante. On longe la moraine, et on arrive à une tyrolienne indiquée sur la carte. J’ai bien envie d’aller voir de l’autre côté du torrent. Mais je n’ai pas de baudrier. Pas de sangle. Je ne tente pas.
                Trois gars arrivent, ils font les zouaves, un fait le singe sur une des deux cordes… on essaye aussi finalement … quelques mètres et on revient. On a plus de forces, ça fait mal sous les genoux, etc, etc, etc. Mh vive les bonnes excuses. La prochaine fois j’irai voir. Je m’entraînerai pour porter 50kg, j’installerai un camp de base, je ne sais pas, mais j’irai.
                Retour au camp ; un peu de lait, on remballe. Alexandre va faire  une photo toute blanche pour montrer la beauté des paysages patagoniens, la magnificence des montagnes qui nous surplombe, l’étrangeté de la végétation, la beauté et diversité incroyable des glaciers, lacs, cascades. La photo du siècle.
                C’est reparti. Dernière étape. Vers la lumière cette fois. Herbes hautes. Pont. Buissons brunâtres. Forêt blanche. Bois automnal. Il neige depuis qu’on est partis… alors qu’il fait plus chaud je crois, depuis que le ‘soleil s’est levé’ (ou pas… en tout cas je ne comprends rien). Alors qu’il a plu une bonne partie de la nuit. On marche longtemps.
                Oh ! Un individu bronzé, sac en bandoulière…. NON. PAS LUI. ‘’Bonjour Hello ! Hier pouvait pas, plus de batterie dans l’appareil. Mais aujourd’hui bien, rechargée. Vous descendez ? Ah bientôt arrivés, 10 minutes. Moi je vais là bas. Beau. Hier… plus de batterie. Bye !’’ (Je lui fais remarquer qu’il a d’autres chaussures.) Dix minutes. Bonne nouvelle. On s’arête sur un rocher, on s’effondre avec les sacs ; on partage la DERNIERE barre de céréales… sans avoir l’impression d’être à dix minutes de quoi que ce soit. Encore des forêts colorées, une belle clairière, des champs… Tout à coup on débouche au dessus d’El Chalten. On n’y croyait plus. On descend. Len-te-ment. On traverse un bout de ville étrange où toutes les maisons semblent être des copies conformes les unes des autres. On arrive dans la rue principale. On rentre dans le premier restaurant. Avec nos gros sacs.
                On commande des salades et du poulet aux pommes de terre noisette. Le restaurant est curieux, les murs en bois sombres, tapissés de souvenirs. Tour Eiffel. Venezuela. Mexique. … La radio crachote une musique sautillante. 





                La porte s’ouvre. La fille de l’accueil de l’auberge ‘Condor de los Andes’ apparait. Plus rien n’est étonnant ici (et il est où l’autrichien ?) … c’est elle qui fait le service. Je crois que les gens ne sont pas de la même race humanoïde. Ils peuvent se téléporter, transporter des dizaines de kilos et travailler sans dormir. C’est fou ! Cette fille, le soir où on était arrivé, elle travaillait jusqu‘à minuit et reprenait à 7h.
                Une horde bruyante entre à son tour. La fille les accueille d’une façon qui me fait penser aux clichés des films espagnols d’Almodovar. Dire qu’on pensait qu’à 14h15 il était trop tard pour manger … on est les premiers en fait.
                On ressort bientôt dans le vent froid (la neige nous a suivis). A  l’auberge, on laisse le réchaud pour que Cyril les récupère… et on s’affale sur les bancs.  Je n’ai pas de nouvelles de mon billet d’avion, je ne sais toujours pas quand je repars (Zut). Un anglais discute avec Alexandre. Tout est vague, je flotte un peu. LA fille passe devant mon nez. ‘No soy una alucinacion’’ (je ne suis pas une hallucination). Elle fait bien de le préciser.


                Bus à 18h30… ou plutôt 18h. Un nuage impressionnant semble se déployer vers nous. El Calafate vers 21h. On prend des billets pour Punta Arenas via Rio Gallero… départ à 3h du matin. Encore six heures. Je demande si on peut rester dans la gare de bus pendant la nuit. Oui. Mais personne ne peut garder nos sacs pendant qu’on va manger par contre.

                Le grand escalier. L’allée principale. Le même bordel pour sortir de l’argent. (Mes poches sont vides, j’ai tout payé pour deux depuis le dernier trajet.) Sauf que je connais un peu la ville maintenant. Bon voilà, le distributeur qui fonctionne… ou pas. Un autre… non plus. Le premier fini par cracher les billets à la quatrième tentative. Demi-tour. Un restaurant. Il y a trop de monde là dedans, ça ressemble à une cantine. Suivant… fermé. Suivant… bizarre, une ‘librairie-restaurant’ au premier étage. Suivant… on y va. ‘Podemos comer aqui ? –Si’ Ouf. On monte les sacs au 1er, on redescend… en fait, on est tombé sur un restaurant classe (ooups). Notre commande ? Plats les moins chers + accompagnements les moins chers + vin rouge le moins cher. Ehé… on est déjà dans un état intéressant en arrivant, ça devient assez particulier. Le serveur nous verse nos verres, fait gouter le vin à Alexandre… c’est spécial ! On prend tout notre temps (deux heures). Le serveur nous demande ce que nous avons fait, si nous étions à El Chalten, … Où nous étions plus précisément (Alexandre répète ‘El Chalten’ … hum). Il se met alors à nous parler en anglais. Pour moi, tout devient encore plus dur, je n’aime pas sauter d’une langue à l’autre. On réussi à lui dire qu’on a fait une partie du ‘circuit en W’ aux tours du Paine. Qu’on a eu beaucoup de mauvais temps. Que c’était dur avec nos gros sacs. Que côté El Chalten, on a dormi aux camps Rio Blanco et Agostini. Avec du mauvais temps aussi.



                 Il est presque minuit, on sort, après notre repas le plus cher depuis deux semaines. Un peu de fumée. Un incendie dans un supermarché, des gens partout, des pompiers. Remontée à la gare de bus, dans un état de flottement intéressant.
On rejoint notre banc attitré. Je charge mon portable aux toilettes. Je lis le bouquin d’Alexandre sur les Andes. Lui s'assoupi un peu. Je ne crois pas qu’il dorme vraiment. Il réagit presque à chaque fois que quelqu’un passe.


20 avril.

                3h, le bus. On est tout à l’avant, tout en haut. Vue panoramique sur le rideau. Et les fissures du pare brise.
                Les sièges se penchent bien mais pas assez pour trouver une position confortable, et le repose pieds et glissant. Je passe le trajet à essayer de dormir sans y arriver. Alexandre remue pas mal aussi.
                7h : Rio Gallero. Six heures à attendre avant le prochain bus. Mes billets d’avion ne peuvent pas être changés. Alexandre décale les siens, pour qu’on parte tout de même ensemble. On prend le petit déj. à la gare : 4 croissants + jus d’orange + chocolats chauds + toasts avec beurre et confiture ( !) Il y a internet, ça fait passer le temps.
                A midi, on n’a pas bougés ; on prend des ‘burgers’ au même endroit, même table.
                13h, le bus ‘pingüino’. Nos places sont bien coincées au milieu. Dehors, de nouveau le désert, les touffes désechées, les collines arides. Les lamas. Les moutons. Les nandous. La douane argentine (une demi-heure d’attente). Un renard gris. La douane chilienne (plus d’une demi-heure). Les maisons au milieu de nulle part… la forêt colorée pleine de lichen. Les moutons. Punta Arenas. 18h30.
                Une jeune fille nous arête à la sortie du bus pour nous donner un flyer pour son auberge. Je lui demande s’il existe un bus susceptible de nous amener à l’aéroport à 4h du matin. Elle dit qu’il y a des navettes, pas loin (de son ‘auberge’). Elle nous demande si on vient en Amérique du Sud sans parler du tout espagnol. Je lui ai pourtant parlé en espagnol (bon sang). Alexandre lui répond qu’il parle anglais mais moi un peu espagnol. On va y arriver. On prend son flyer, on va dans la direction abstraite du ‘pas loin’. Une agence de bus. Pas de navettes pour l’aéroport. Au croisement suivant, on tombe sur la même fille. Elle nous propose de nous amener en voiture à son hôtel auberge chambre d’hôte. Pourquoi pas … mais on doit d’abord sortir ou changer de l’argent. Encore. Elle nous amène au supermarché, le distributeur est fâché avec Alexandre. Il ne veut pas de sa carte. Direction bureau de change. La fille nous sert toujours de guide, moi d’interprète. Les mots me viennent de plus en plus facilement ; et pourtant c’est de plus en plus dur. Même en français je m’embrouille presque.
                On change ce qui nous reste de pesos argentins plus un billet de 5€. Ca devrait suffire.  La fille trouve que je parle bien espagnol (finalement). Elle veut savoir d’où on vient, d’où ça en France ; qu’est ce qu’on fait ici, comment je connais Alexandre, si on s’est rencontrés ici, si … etc etc (etc ETC). Je suis complètement KO mais j’essaye de raconter. En espagnol. Arg.
                Une copine à elle vient nous chercher dans une voiture étrange. Deux banquettes arrières face à face, dont celle à l’avant bascule à chaque bosse, chaque coup de frein. (Et il y en a.) Tout vibre et tremble, la conductrice nous interroge aussi (l’autre jeune fille a eu le malheur de lui préciser que je parle bien espagnol) ; et nous raconte tout sur tous le bâtiment qu’on croise. Elle nous fait visiter. Elle ne parle pas assez fort, je n’entends pas tout, Alexandre ne comprend rien, on se retrouve tous les deux sur la banquette à bascule. La voiture se secoue de partout alors que la femme nous explique que c’est la seule route du quartier dans cet état (et que c’est forcément là que l’on doit passer). Elle fonce, rentre dans le trottoir (la banquette manque de se renverser ; nous avec). Elle pile. Stop. C’est là.
                On entre dans une drôle de maison. Ils ne parlent pas anglais, je suis toujours la seule française à baragouiner en espagnol. Aller à l’aéroport à 4h15 demain matin ? Pas de problème ! La propriétaire des lieux nous réserve un taxi. Elle nous conduit à une chambre, un lit penché qui fait échos au toit, ça fera l’affaire. Elle m’adopte de suite. Je ne sais pas quel âge elle me donne, mais bon. On rassemble toutes les questions que je dois poser. Je vais y arriver. Tarifs, petit déjeuner (?), confirmation des horaires du taxi, où manger ce soir pour pas cher. … On sait tout. Voilà, c’est bien. Chocolat chaud, douche chaude.
                On va manger dans un drôle de restaurant où j’ai l’impression que le serveur se prend pour un majordome. On compte nos pesos. Vers 21h, on paye. On rentre. . Il fait froid, sombre, il vente. On retrouve l’auberge. Avec ses deux caniches excités un peu tondus. On paye encore. On pourra déjeuner discrètement même si c’est interdit avant 8h… parce qu’elle m’aime bien. Merci beaucoup.
                Au lit. C’est penché, on étouffe. Au bout d’un moment à ne pas bouger, on balance les oreillers de l’autre côté et on change de sens. On ne bouge plus, on essaye de dormir, complètement épuisés. Encore une nuit difficile. Je n’ai pas l’habitude d’un matelas qui s’enfonce.


21 avril.

                3h30 déjà. On prend trop de temps à se lever et à trainer les sacs dans le long couloir jusqu’à la sortie. Du coup on ne déjeune presque pas. Le taxi est ponctuel, c’est rassurant… Je me voyais mal appeler une agence à 4h20 du matin. Pas un mot jusqu’à l’aéroport.
                Il n’y a vraiment aucun problème avec le changement de billets d’Alexandre. Miracle. On attend, comme d’habitude, dans l’aéroport désert.
                Avion. Il fait gris, il pleut. Pas de chance pour le paysage. Pause à Puerto Montt. On reste dans l’avion. Jus d’orange artificiel, biscuits pas très gouteux.
                Santiago. Notre état de fatigue empire. Logique. On se perd un peu, on trouve, on se rend compte qu’on n’a pas des places voisines, on demande à changer. Ce n’est pas possible tout de suite, ce sera à la porte d’embarquement. On trouve un magasin de souvenirs, on a une heure pour regarder les photos dans les livres. On achète des sandwichs. Le taux de change est douteux ; on paye environ un dollar trop cher par sandwich. Porte d’embarquement. Changement de siège. On aura des places en plein milieu. Tant pis.


                Encore de l’avion. … des caniches et des enfants à proximité mais ça va, étonnamment et même si un des caniches tremble de tous ses poils, ils sont sages. Il est 13h … on change d’heure… il est donc 18h. Je ne comprends rien. On vient de finir de manger. Il ne peut pas être 18h.
                On transfère des photos, joue sur le portable d’Alexandre, discute presque tout la nuit.


22 avril.

                Madrid. De plus en plus KO. Au bord de l’effondrement (même sans les sacs). On vérifie nos bagages ne vont pas s’arrêter là, on se perd un peu en traversant l’aéroport… c’est toujours une véritable et inévitable épopée. On tente de dormir sur les rangées de sièges à accoudoirs… pas confortable ni pratique (en gros, ou on ne s’endort pas, ou on est réveillé par l’ébauche d’une chute dès qu’on sombre). On ne dort toujours pas.
                12h10, heure de l’embarquement pour Alexandre. Fin de l’aventure. Je reste là toute seule, un peu triste. Je prends une photo de sa silhouette entrant dans l’avion.
                Je reste assise devant sa porte d’embarquement. J’écris. 15h00. A mon tour.




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